Lorsque tu vois la montagne au loin et que tu t'apprêtes à la gravir, réjouis-toi. D'abord, elle est loin et belle, touchant l'horizon, paraissant insaisissable et tellement désirable comme le but ultime à atteindre. Tu pars au lever du jour, le cœur vaillant bien décidé à la gravir. L'air est frais, le soleil te réchauffe, ton énergie est pure et neuve. Bientôt, à ses flancs, elle te semble disparaître et la distance grandit, et pourtant tu t'en rapproches ? Déjà, la fatigue en toi se fait sentir. Tes jambes ne semblent plus pouvoir te porter et disent à ton cœur tout leur désespoir, l'entraînant dans une lutte où l'ego s'en mêle. Que te reste-t-il donc à cet instant sinon le souvenir en ton cœur du désir ardent qui t'a fait prendre le chemin, alors tu sais, tu sais pourquoi tu marches et tu cesses de regarder la longueur du chemin. Le sommet arrivera maintenant, tu le sais, et tu regardes enfin à tes pieds ce que tu foules. Avec joie, tu avances, perdant le but de ta quête. C'est là, au détour d'un regard, que la cime de ton rêve réapparaît effroyablement loin, terriblement haute, paraissant de plus en plus inatteignable et pourtant plus de question de retour. Plus question de revenir en arrière, le départ c'est trop loin, seule l'arrivée compte désormais, ces derniers efforts sublimés par la joie mêlée d'un accomplissement, d'une puissance de l'instant, d'un abandon total à la matière, ce ne sont plus les pas que tu comptes mais tu avances désormais au rythme de ton souffle, lent de plus en plus lentement et plus tu approches, plus déjà tu ralentis ta course tout en sentant le bonheur arriver et même si tu sais qu'arriver en haut ; il te faudra redescendre et remonter ailleurs jusqu'à ta dernière demeure, tu savoures chaque seconde et bientôt ton regard se perdra dans l'infini, le vent se confondra à ton souffle et dès ces instants magiques, remplis, vidés, nouveaux, tu pourras redescendre et regarder de loin cette beauté de roc fier, droit, complexe, sinueux, immuable qui accroche les cieux.